L’étiquetage obligatoire des bagages m’informe de l’identité
de ma voisine : Cheyenne Sandrinelli. Le feutre a bavé et le reste de
l’adresse est indéchiffrable.
L’étiquette plastifiée pendouille à la bandoulière d’une
copie bon marché de sac marronnasse siglé pour rombières. Cheyenne est à
l’avenant, sourcils peints et racines noires, avec l’inévitable tatouage
ethnique dans le bas du dos. Elle me l’a collé sous le nez en installant son
sac dans le porte-bagages.
Je me demande si les tahitiens se tatouent des bas-reliefs
romans.
Comme je me demande si l’on décore les villas tibétaines de
crucifix. Je suis sûr que Cheyenne Sandrinelli a un bouddha quelque part chez
elle. Et le mot Love en grosses lettres peintes collées sur un mur.
Mais après tout, cela ne m’empêcherait pas de passer un bon
voyage.
Certes, elle va sûrement passer son temps au téléphone juste
sous l’autocollant requérant la mise en veille des portables et malgré
l’invitation du chef de train à passer ses appels depuis les plateformes.
Non, le plus pénible c’est son parfum.
À peine a t elle franchi la porte que l’odeur lourde et
entêtante a envahi le wagon. Elle a imprégné les murs et les fauteuils comme
autrefois l’odeur de tabac froid dans les compartiments fumeurs.
J’ai vu les narines des autres voyageurs se dilater puis se
boucher à son passage.
J’ai vu le soulagement de celui qui a craint qu’elle ne
s’asseye dans le fauteuil voisin.
J’ai vu les magazines se transformer en éventail.
Je la suivais depuis son apparition, cherchant sa place,
billet à la main, dans sa lente translation vers la place 42.
Le fauteuil près du mien, côté couloir.
Elle n’a pas eu une attention pour moi mais son parfum n’a
pas eu les mêmes pudeurs.
Je reconnais la fragrance pour l’avoir découverte chaude et
sucrée, discrètement lovée dans la nuque d’une amante. Autant de charmes
annihilés par l’application au canon d’arrosage agricole pratiquée par ma
voisine.
Je suis en train de battre le record du monde d’apnée mais
l’odeur s’insinue par tous mes pores. Je reprends ma respiration au-dessus de
la bouche d’aération de la clim’. Peine perdue, les effluves capiteux
atteignent déjà mon crâne, phagocytent mon cerveau. La migraine s’installe.
Plus qu’une solution, m’exiler dans la voiture-bar.
Je me redresse et m’excuse, signifiant mon désir de
m’extirper du Duo-côte-à-côte. Concentrée sur ses textos, elle tourne vivement
son visage vers moi et s’explose l’arcade du nez sur l’appendice gris design
qui sépare nos fauteuils.
Elle me laisse passer en vociférant entre ses dents contre
« le connard congénital qui a conçu ces accoudoirs de merde ».
-C’est Christian Lacroix, lui dis-je dans un sourire plein
de commisération. Celui-la même qui a commis votre parfum.
Apparemment, Cheyenne Sandrinelli a un gros nez.
RépondreSupprimerComme quoi, l'étiquetage obligatoire des bagages ne permet pas de nous protéger des attentats olfactifs...
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